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En ma qualité d’avocate engagée contre les violences faites aux femmes, je souhaiterais formuler quelques observations après avoir vu le film « Jusqu’à la garde » réalisé par Xavier LEGRAND, sorti sur les écrans le 7 février 2018.

Le jeu des acteurs, tous performants, authentiques, confère au film la réalité voulue par le réalisateur qui a su traiter avec sérieux et émotion ce douloureux sujet.

J’ai représenté à la Cour d’Assises de Créteil, en qualité de partie civile, l’association Tremplin qui a pour objet la défense des femmes victimes de violences conjugales (lors du procès contre l’assassin de Madame D, d’un enfant du couple (4 ans) et du fils de Madame D (13 ans), en mai 2013.

La semaine passée à la Cour d’Assises laissera à jamais des traces indélébiles dans ma mémoire personnelle et professionnelle.

Mon quotidien consiste bien souvent à épauler, soutenir et défendre les femmes et enfants victimes de violences conjugales.

J’ai retrouvé dans ce film une réalité douloureuse de ce que vivent ces victimes. Elles sont terrorisées au point de ne pas porter plainte, ce qui les empêche de préserver leur sécurité et de se ménager l’épreuve que le Juge attendra au jour de l’audience.

Elles partent, quittent tout, leur maison, leur emploi, et se réfugient là où elles le peuvent, l’objectif étant de se cacher.

Elles le font souvent seules, sans aucune aide, parfois soutenues par des associations telle que Tremplin dont le soutien est si précieux.

Elles emmènent leurs enfants déscolarisés, paniqués, traumatisés, et elles tentent de les protéger malgré tout, de leur éviter de souffrir même si elles sont terrorisées elles-mêmes et n’ont plus aucune énergie.

Ce film conduira sans doute à se livrer à des interrogations indispensables, notamment quant au rôle des acteurs du monde judiciaire et notamment du Juge.

Pas de preuve en l’occurrence dans le dossier incarné dans le film, mais l’audition du fils âgé de 11 ans.

L’audition de l’enfant est de droit, selon l’article 388-1 du code civil (loi de 2007). Elle peut être réalisée directement par le magistrat (l’enfant a alors droit à un avocat gratuit) ou encore par un enquêteur social suivant ce que décide le Juge.

Le magistrat est souverain pour accepter ou refuser l’audition d’un enfant ; s’il refuse, il doit motiver sa décision en se fondant notamment sur la question du discernement, l’âge, variable suivant les juridictions se situant généralement autour de l’âge de 7ans.

En l’occurrence, l’enfant entendu a 11 ans. Son audition est limpide et claire : il refuse de revoir son père qu’il appelle l’autre et qui visiblement le terrorise et terrorise la famille.

Le Juge tente une instruction à l’audience qui n’apporte pas d’éléments péremptoires. Le dossier de la femme victime est quasiment vide. Les avocats jouent leurs rôles respectifs.

Le Juge semble désemparé, exaspéré, et du coup rend une décision très classique en fixant un droit de visite et d’hébergement au profit du père, un week-end sur deux et peut être bien une résidence alternée quand le père s’installera dans la région où la mère a fui.

Le Juge a donc considéré que l’enfant était manipulé par sa mère et n’a pas tenu compte de sa parole.

Le message du réalisateur tel que je l’ai compris, vise à alerter les esprits afin que la parole de l’enfant capable de discernement, soit entendue à sa juste mesure.

Dans ce dossier, elle est claire mais le Juge refuse d’en tenir compte pensant échapper au risque de la manipulation de l’enfant et se fondant sans doute sur le principe bien connu suivant lequel un enfant doit se construire avec ses deux parents…. « Il est manipulable à souhaits…. relativisons ses demandes….. »

Quelle grave erreur dans ce dossier!

Gageons d’ailleurs que dans la stricte réalité, le Juge aurait ordonné une enquête sociale et médico-psychologique.

Les conséquences du défaut de valorisation de la parole de l’enfant sont dramatiques, déchirantes, le réalisateur conduit le spectateur à se questionner sérieusement sur le rôle du Juge, ses outils et sa capacité à détecter des situations dangereuses à défaut de preuves.

La leçon est claire, elle vise à encourager les femmes victimes de violences conjugales à tenter de dépasser le stade de la terreur pour prévenir la police, porter plainte, être vues par un médecin de l’unité médico judiciaire et diriger vers une association dédiée, puis un avocat.

Félicitations Monsieur Xavier LEGRAND, ce film intelligent, émouvant et si proche des réalités, fera à mon sens avancer, je le souhaite, la position des femmes victimes qui retiendront que la constitution de preuves de leurs souffrances est essentielle dans leur combat.

 

Annie KOSKAS
Avocat associé
Ancien Bâtonnier de l’Ordre des Avocats du Val de Marne

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